Incendière

Allongée sur la moquette les yeux mi-clos elle attendait patiemment que l'heure vienne, que le temps passe et coule autour d'elle et que les secondes de son existence lui soit irrévocablement arrachée. Elle adorait sentir le temps se dérouler, et sa vie devenir de plus en plus courte. C'était grisant de se dire que chaque seconde la rapprochait de la mort et qu'inévitablement elle les rejoindrait tous.

"-Se vengeront-ils de moi comme je me suis vengée d'eux ?"

Son existence se rétracta dans un coin, et sa vie se fit plus discrète. Elle était de nouveau consciente d'elle même, et put se redresser.

"-Il m'est arrivé un fois, vous savez... De penser au futur comme vous l'avez toujours fait..."

Elle tourna la tête regardant du coin de l'oeil l'homme avec sérénité.

"-Je crois que j'avais 5 ans..."

Elle posa son regard sur ses doigts légèrement noirs et couverts de petites cicatrices.

"-Mais bon, vous ne pouvez pas comprendre ce que c'est de vivre avec le temps..."

Elle souffla paisiblement et regarda le plafond. Elle se leva cette fois-ci et attrapa son manteau et son sac qui gisaient dans un coin.

"-Oui, il y avait quelque chose à laquelle je pensais... Je ne sais pas où j'avais faux... Mais maintenant..."

Elle revêtit son manteau.

"-Maintenant je suis embarquée dans le cercle du temps, dans celui de la vie qui passe sous mes yeux qui me sourit... On ne prend jamais son destin en main Mr Edans... On ne prend jamais son destin en main, et encore moins en le forçant..."

elle alluma une cigarette qu'elle glissa au coin de ses lèvres.

"-Séparons-nous à présent... Adieu..."

Elle laissa tomber la cigarette au sol puis partit sans se détourner alors qu'un léger feu était en train de prendre sur la moquette beige. Elle ne lança pas un regard en direction du cadavre qui semblait la regarder avec terreur. Elle ne se demanda pas s'il était bien mort, parce qu'après tout lui non plus ne l'avait jamais fait. Alors qu'elle passait le pas de la porte elle put sentir un souffle chaud dans son dos.
Cette fois, minuscule fois, elle n'aurait qu'à peine le temps de s'éloigner. On la repérerait sûrement, mais à quoi bon ? Elle était sans être, et personne ne pouvait plus à présent la toucher. Elle était portée par la rage de vaincre et par la joie de la vengeance tant et si bien qu'elle se savait invincible pour encore un moment.
Quand elle eut tourné au coin de la rue elle put entendre une petite déflagration puis le crépitement des flammes, et quelques minutes encore après la sirène maladive des pompiers. Mais c'était trop tard. Ce n'était cette fois-ci pour sûr plus qu'un cadavre calciné...

Une sonnerie retentit dans l'air et la bulle précieuse du sommeil se brisa immédiatement. Sortant en sueur d'un cauchemar, il se tourna vers le réveil et fronça les sourcils en lisant 3:24. Pourquoi l'appelait-on -encore- à une telle heure ?
Se levant malgré le refus de ses muscles il alla décrocher le combiné et fit preuve de présence par un grognement endormi.

"-C'est vous monsieur ?
-Qui veux-tu que ce soit, abruti... Quoi ?
-Tenez vous bien monsieur ! L'incendiaire a recommencé !
-Quoi ? Putain prépare mon flingue !
-Tout de suite monsieur
-Et arrête de m'appeler monsieur, bon dieu !"

Il ne lui laissa pas le temps de répondre et raccrocha à toute vitesse. Cet effet de détonation, il le connaissait si bien. C'était la même chose à chaque fois. A chaque mort il sentait son coeur de vieux-garçon se remettre à battre la cadence, et la vie s'avancer au devant de lui.
Il renifla sans ménagement ses aisselles mais malgré l'odeur de sueur qui s'en dégageait enfila rapidement la chemise et le pantalon de son uniforme avant de mettre sa veste et de partir en courant, jurant contre ses lacets qui s'étaient défaits. Il était sale. Il était barbu, il avait l'air fatigué, et son haleine sentait encore la vodka qu'il avait pris plus tôt.


A peine arrivé sur place il récupéra l'arme et lu en quelques secondes le rapport avant de ne pas écouter les ordres qu'on lui donnait. Il n'en avait rien à faire. Cette affaire, l'affaire de l'incendiaire, c'était la sienne, c'était sa vie, la flamme de son existence. Quand les morts n'étaient plus là il se sentait tellement vide de sens qu'il se demandait par moment s'il n'était pas lui même le tueur à ses heures perdues.
Pourtant il n'avait pas trop bu ces derniers jours, et la drogue il n'y touchait que vraiment rarement. Il se souvenait de ses journées en entière. Il n'y avait pas de place pour un moment d'absence. Il n'était pas l'assassin pourtant il vivait en lui les plus belles journées de son existence !