Aube Rouge

L'inspecteur de police Lucas Emata n'était pas quelqu'un de reconnu. Il n'avait jamais obtenu des performances magnifiques, cependant on pouvait dire qu'il vivait dans une bourgade plutôt tranquille qui ne lui permettait pas de mettre en valeur des talents encore cachés. Emata habitait dans un village provençal du sud de la France. Perdu dans des étendues de lavande et d'orangeraie son village ne comprenait qu'un demi millier de personne, beaucoup d'animaux et une des églises classée patrimoine de France. Saint Domici, le dit village était très réputé dans la région pour sa production de lavandin, ses quelques bouteilles et son immense haras qui produisait les meilleurs Selles Français de France. Il y avait là quelques riches personnes, notamment le président d'une grande entreprise industrielle, un producteur de vin fortuné à la retraite et d'autres personnes du cru. C'était une sorte d'élite magnifique admirée et haïe par tous. Car ils vivaient parmi le reste de la population -beaucoup moins aisée- avec un train de vie ostentatoire.

L'été venait à peine de se lever sur la Provence et la saison estivale apportait avec elle tous ces riches gens mais aussi quelques touristes venu voir la fameuse église de Saint Dominici, son haut clocher de pierre doré et son abbaye où résidaient encore quelques moines qui s'occupaient de la production de la célèbre essence de lavande. Les jours s'allongeaient et dès le matin la chaleur régnait sans ménagement dans les rues pavées de la ville. L'agitation dans le village augmentait chaque jour un peu plus : le boulanger et l'épicier venaient de se réinstaller pour la haute saison, et les gamins qui séchaient les cours se promenaient dans les rues à bicyclette.

Tout semblait aller pour le mieux ce matin là. Samedi 28 Mai. Le marché s'installait tranquillement. 7h00 du matin. La vie prenait tous les coins du village et bientôt il battrait du rythme profond et sourd de la joie des habitants. Emata prenait son café sur le comptoir avec un collègue. Il n'avait ni femme ni fiancée et vivait pour le moment chez un ami et collègue qui possédait une ancienne ferme près du haras.

"-Alors comme ça ils ont eu un meurtre à Aix ?
-C'est ce qui paraîtrait ! J'ai entendu dire qu'un homme aurait pété les plombs à cause de sa situation financière et qu'il aurait tendu à guet-apens à son banquier.
-On l'a retrouvé ?
-Oui, il est déjà derrière les barreaux.
-Ca ne nous arrivera jamais des histoires comme ça... Dès fois je me demande à quoi sert ce commissariat, vraiment. Il n'est là que pour rassurer les riches je crois.
-Lucas !"

Lucas tourna la tête vers son ami et fini son café. Il était amusé par l'air de reproche d'Alexandre

"-Ca va, c'est pas comme si je demandais un meurtre je dis juste...
-Tu dis toujours la même chose, le coupa-t-il sans ménagement"

L'inspecteur haussa les épaules et posa deux pièces sur la table avant de se lever

"-Bon, j'y vais, j'ai un dossier sur la disparition du chien de Dilmens
-Tu t'occupes du chien de Dilmens ? Aha ! Je suis sûr que c'est sa femme qui le cherche mais que lui l'a tué quelque part ! Il l'aura sûrement jeté dans un puits ou dans une des geôles du monastère ! Tu devrais y faire un tour !
-Merci du conseil vieux, mais je vais juste faire des jolis papiers puis je dormirais sur mon bureau !"

Il se leva et traversa les rues jusqu'à la place principale où la mairie, le commissariat et l'église se regardait. En son centre il y avait une fontaine où une fort jolie jeune femme abreuvé un cheval. Les gens étaient en train d'installer les tentes pour le marché. La jeune femme se mit à cheval et vint l'interpeller

"-Inspecteur ?
-Mademoiselle De Biodet... Enchanté de vous voir aujourd'hui
-Et moi de même mon cher inspecteur ! Viendrez-vous ce matin à l'église pour la cérémonie ? Ils feront sonner les cloches à 10h vous ne pourrez pas oublier
-10h ? Je verrais selon le travail que j'ai mademoiselle, un officier en service n'est pas sensé quitter son poste.
-Monsieur Emata ! Ne me dîtes pas que vous commencez à prendre votre poste au sérieux le jour de notre fête d'été ! Si vous ne venez pas je serais déçue ! Non pas que j'ai absolument envie de vous voir sur un missel mais votre présence m'enchanterait !
-Moi de même bien sûr mademoiselle... Excusez-moi maintenant, il faut absolument que j'aille pointer !"

Il la salua d'un geste de la main puis rentra dans le commissariat en soupirant. Cette fille était exaspérante ! Trop catholique mais aussi trop jolie ! Et en plus il fallait qu'elle craque sur lui contre l'avis de ses parents qui ne pensait pas qu'un simple commissaire sans maison pouvait prétendre à l'héritière du haras. Il leva les yeux au ciel. Il n'avait qu'une envie : de flirter avec elle !


2h30 passèrent il était effectivement en train de dormir dans son bureau quand soudainement un grand brouhaha se fit entendre dehors. Le bruit le réveilla et il sortit difficilement de sa torpeur à cause de la chaleur ambiante. Il sortit paisiblement et regarda la place ensoleillée. C'était joli à voir tout de même ces petits chapiteaux de toutes les couleurs. Pourtant les gens n'étaient pas vers les étals et levaient tous le nez vers le clocher de l'église. Surpris il s'approcha d'un passant et lui demanda ce qui se passait.

"-Et bien, c'est la police qui va s'occuper de l'affaire ?
-Quelle affaire monsieur ?
-Bin m'sieur l'agent, c'est que l'église elle a pas sonné les 10h comme l'avait annoncé la p'tite De Biodet -Joli brin d'fille hein ?-
-L'église n'a pas sonné ?
-Non, c'qu'on dirait c'est qu'les cloches sont bloquées !
-Bloquées ? Bon je vais voir ça, pour une fois qu'il se passe quelque chose pendant mon service !"

Il s'éloigna à pas rapide de l'homme pour aller vers l'église. Il fut chaleureusement reçu par le prêtre en service ce jour là.

"-Ah, monsieur Emata quel plaisir ! J'imagine qu'avez vos talents les choses vont s'arranger d'un coup ! Nous avions appelé un technicien mais ils sont tous occupés sur Carpentras pour la rénovation d'un clocher !
-J'ai toujours rêvé de jouer les acrobates, j'y vais de ce pas mon père.
-Ah, quelle dévotion envers votre église ! Vous en serez remercié ! Vous savez à mon âge..."

Il regarda la prêtre. C'était vrai qu'il avait plus de 60 ans maintenant. Enfin cela ne le concernait pas. Lucas prit les escaliers de bois qui montaient vers le clocher, puis se hissa dans la charpente pour aller voir ce qui se passait. Il s'immobilisa d'un coup après quelque pas ! Devant lui ! Juste sous ses yeux un gosse était pendu par les pieds. Il était coincé entre deux cloches et empêchait le mécanisme de fonctionner normalement. Son visage avait pris une teinte violette étrange. Quelque chose entre le bleu du à la strangulation et le rouge de l'afflue de sang.

"-Nom de..."

Il prit l'enfant dans ses bras et essaya de le remettre à l'endroit. Mais c'était peine perdu il était déjà mort, très mort même, son corps était froid et raide. Complètement abasourdi il se recula puis utilisa un gadget qu'il n'avait jamais utilisé auparavant : son talkie walkie.

"-Alex ?
-Qu'est-ce qui se passe Luc' ? Ils m'ont réveillé avec leurs cris !
-Alex appelle la crim'
-La crim' ? Lucas ne me dis pas que...
-Si, je viens de tomber sur un gosse pendu dans le clocher
-Un gosse ?
-Oué...
-Ca va vieux tu tiens le coup ?
-Appelle je te dis..."

Il raccrocha puis se laissa tomber dos contre un pilier regardant l'enfant droit dans les yeux, complètement tétanisé !

Quelques minutes plus tard il put entendre du bruit sur l'échelle et des cris de personnes en bas dans l'église et sur la place. Cela devait être Alexandre qui venait et qui demandait aux gens de s'éloignaient parce qu'ils risquaient de piétiner une scène de crime. Il frissonna, il ne pouvait toujours pas bouger, les yeux dans les yeux avec un mort qui ne voulait plus le lâcher du regard. Toutes ses pensées étaient tournées vers ce gosse et la douleur qu'il avait du subir !
A peine quelques instant plus tard Alexandre était là, il venait de monter toutes les marches à la volée et se tenait doucement les côtes. Il regarda le gosse en silence puis s'approcha de Lucas

"-Et ça va ? Vieux ?"

Il le secoua doucement, puis contre toute attente Lucas bondit sur pied et le poussa dehors

"-Faut pas que tu rentres, c'est une scène de crime !"

Alexander ne se laissa pas faire et rentra tout de même dans la charpente en silence

"-Je suis flic autant que toi, si tu penses t'amasser tous les honneurs tu espères ! Je leur donnerais mon ADN et mes empruntes et comme cela ils sauront parfaitement que ce n'est pas moi ! Aller laisse moi voir, je vais l'identifier, tu ne connais même pas les gosses d'ici ! Il faut bien que les parents soient au courant !"

Il s'approcha du cadavre et Lucas se laissa retomber sur le sol silencieusement. Sa conscience était agitée, quelque chose en lui lui disait de faire attention, et surtout de ne pas se laisser faire. Pourtant il ferma les yeux se laissant glisser dans un état réparateur proche du sommeil sans toutefois dormir.

"-C'est le petit Daniel...
-Daniel ? Le frère de Ma'mselle De Bodet ?
-Arrête de l'appeler comme ça Lucas, je sais très bien que tu te la tapes !
-Mais..."

Lucas rouvrit les yeux et le regarda sidéré

"-On est en présence du cadavre d'un gosse et toi tu me fais la morale ou alors tu m'accuses ? Ca ne va pas ou quoi ? La pauvre fille, ses parents aussi, tu imagines ? Ce qu'ils vont vivre dans quelques minutes quand tu vas leur apprendre ?
-Je ne vais pas le faire ! C'est toi. Regardes moi ta pauvre tête, t'es blanc comme un linge on dirait que tu as vu la mort en face !
-C'est le cas de le dire non ?
-Ecoute, tu la connais bien cette fille, et puis faut que quelqu'un garde la scène du crime, tu n'es plus en état..."

A nouveau Lucas sentit cette sensation de danger et refusa, disant qu'il se reposerait jusqu'à l'arrivée des policiers en renfort. Ce qu'il fit en gardant toujours un œil ouvert pour surveiller les gestes d'Alexandre.

Une heure plus tard les sirènes sonnaient à tue-tête dans le village, le boucan que faisait les gens morts de peur était plus fort que jamais. Toute une armada de policier en blanc débarqua. On emmena à l'extérieur les deux commissaires du village. Lucas un peu remit de ses émotions en profita pour s'approcher de la jeune femme. Il l'emmena à l'écart et la regarda droit dans les yeux.

"-Mademoiselle...
-Ne me dites pas que...
-Si mademoiselle... C'est votre petit frère...
-Quoi ? Ce n'est pas possible ! Pas Daniel ! DANIEL !"

La jeune femme se mit à pleurer brusquement violemment tout en criant sa peine. Elle se jeta dans les bras du policier et lui labourant le torse de coup jusqu'à ce qu'elle se calme et se laissa tomber par terre. Elle continuait à gémir au sol, n'arrêtant pas de répéter le nom de Daniel, inlassablement !